Depuis 16 ans, le Dr Mark Leung joue un rôle discret mais essentiel au sein de Canada Basketball.
C’est en 2009, à la fin de sa bourse en médecine sportive, qu’une opportunité inespérée s’est présentée : rejoindre l’organisation sur invitation du Dr Doug Richards, alors médecin en chef de l’équipe nationale féminine senior et ancien médecin des Raptors de Toronto. Pour Leung, c’était une décision évidente.
Depuis, ce natif de Toronto est resté un pilier fidèle, s’impliquant dans plusieurs programmes — de l’équipe nationale féminine senior aux formations NextGen masculines, en passant par l’équipe masculine de 3x3 —, apportant son soutien aux athlètes dans leur quête d’excellence, que ce soit lors des Coupes du monde ou du tournoi GLOBL JAM.
Nous avons rencontré le Dr Leung pour parler de son parcours en médecine sportive, de son engagement durable envers Canada Basketball, et de l’importance de son héritage asiatique dans son histoire personnelle et professionnelle.
Q : Comment êtes-vous entré dans ce domaine ?
Mark : Mon père était médecin — c’était mon héros.
Il a grandi dans la pauvreté à Macao, en Chine, et c’est grâce à l’excellence académique qu’il a pu s’en sortir. Très bon joueur de soccer à l’école primaire, il a cependant choisi de se concentrer sur ses études et s’est hissé parmi les meilleurs élèves. Il a été admis dans une école secondaire prestigieuse, située à quelques heures de ferry lent de Hong Kong. Sa famille a décidé de l’y envoyer étudier, seul, loin de chez lui. Il a excellé et a ensuite été admis dans la meilleure école de médecine de Taïwan. Il a relevé ce nouveau défi.
Il se souvient des traversées « semi-officielles » — et peut-être illégales — en bateau, sur 800 km d’océan ouvert, dans des conditions si mauvaises que la plupart des passagers vomissaient. En arrivant à Taïwan, il a dû relever un défi encore plus grand : il ne parlait pas un mot de mandarin (il parlait cantonais, un dialecte très différent du mandarin). Il a appris la médecine et le mandarin en même temps ! D’une manière ou d’une autre, il est devenu fluent en mandarin par auto-apprentissage, tout en excellant à l’école de médecine.
Mais la pauvreté laisse des traces. Il n’avait aucun statut légal à Taïwan en tant qu’étudiant étranger, ni à Hong Kong, alors colonie britannique. Il a donc dû quitter définitivement son foyer, jeune adulte, pour un pays étranger, une nouvelle langue, une nouvelle culture. Cette opportunité s’appelait Toronto. Il s’y est installé, a obtenu sa reconnaissance en tant que diplômé international en médecine, et est devenu médecin de famille.
Il a rencontré ma mère alors qu’il faisait son internat dans un hôpital du centre-ville de Toronto. Elle était jeune infirmière, formée au Royaume-Uni. Aînée de quatre enfants, elle venait d’un village rural de la région de Toishan, près de Hong Kong. Elle portait sur ses épaules la responsabilité de réussir ses études afin de sortir ses parents et ses frères et sœurs de la pauvreté. Elle a relevé ce défi avec détermination et a été la première à quitter la maison, les siens, et ses repères. Elle a fait de sa réussite une mission, afin de tracer une voie vers un avenir meilleur pour les générations suivantes.
Elle est aussi mon héroïne.
En grandissant à Toronto dans les années 1980 et 1990, tout tournait autour des Leafs et du hockey. Mais avec des parents chinois immigrants, le hockey était tout simplement hors de portée — trop cher en patins, en équipement, trop de temps pris sur le travail et les études. Le basketball, par contre, était bien plus accessible : un ballon pour dix enfants.
Vers l’âge de dix ans, mon frère aîné, Tim, m’a initié au basketball, qu’il venait de découvrir à l’approche du secondaire. Cette passion a vraiment pris racine lors d’un voyage en Floride. À peine arrivés dans l’avion, ma mère a souffert d’un pneumothorax sous tension et a dû être hospitalisée d’urgence à St. Petersburg. Pendant qu’elle recevait des soins, mon père gérait la situation tant bien que mal, et Tim et moi avons trouvé un demi-terrain de basket à l’extérieur de l’hôtel. On y jouait pendant des heures, des journées entières. Ce fut un moment difficile pour notre famille, mais aussi un moment de complicité intense entre frères. C’est là que la flamme du basketball s’est allumée en moi.
Mon intérêt a continué à grandir au secondaire, au Toronto French School (TFS), où le sport m’a permis de gagner confiance en moi, de me sentir « bon » à quelque chose parmi mes pairs. C’était aussi le début des Raptors, qui s’entraînaient à l’époque au collège Glendon, là où j’avais mes cours d’éducation physique en 1995. Je me souviens d’avoir vu de près l’entraîneur Brendan Malone et, pour la première fois, un joueur de 7 pieds, Zan Tabak, entrer dans le gymnase. J’étais fasciné. Le basket m’a uni à mon frère, à mes cousins, à mes amis, au secondaire, à l’université de Toronto, puis à la faculté de médecine à Western. C’était l’époque de Vince Carter.
Mon intérêt pour la médecine du sport vient aussi de ma première blessure sportive sérieuse. En 3e année, j’ai subi une commotion cérébrale à la suite d’une collision accidentelle en classe — j’avais 8 ans. Je me souviens des gens autour de moi, ma tête me faisait mal alors que j’étais allongé par terre. À l’époque, la compréhension des commotions était quasi inexistante. Mes parents m’ont amené à l’hôpital Sick Kids, où je me rappelle surtout qu’on m’a donné un bol au cas où je vomirais. C’était ça, le traitement.
J’ai perdu plusieurs souvenirs d’enfance à cause de cette commotion. Cette expérience m’a marqué, et a sûrement influencé mon choix de carrière. Aujourd’hui, je mesure le chemin parcouru : j’ai moi-même contribué à faire avancer la recherche sur les commotions, et j’en parle régulièrement dans le cadre de mon rôle d’enseignant à l’Université de Toronto. Depuis 2014, je dirige le programme de compétences avancées en médecine du sport et de l’exercice — un privilège qui me permet de former les futurs médecins tout en partageant ce que j’ai appris, sur le terrain comme en dehors.
Q : Vous êtes avec Canada Basketball depuis 2009 — quels sont vos plus beaux souvenirs à l’étranger avec l’équipe?
Mark : Il y en a plusieurs, mais parmi les plus marquants, je dirais avoir été témoin des premiers succès internationaux de plusieurs des vedettes NBA d’aujourd’hui, comme Andrew Nembhard, RJ Barrett et Jamal Murray. Même à 14 ou 15 ans, on voyait déjà qu’ils avaient cette capacité à performer dans les grands moments.
Travailler avec Canada Basketball à l’étranger, c’est toujours ce même sentiment de famille — faire partie d’un groupe uni, créer des amitiés durables à travers le défi de viser l’or ensemble, chacun jouant son rôle. Mes premiers voyages furent avec l’équipe nationale féminine senior en Chine pour des matchs préparatoires en 2009 et 2010. J’adorais faire partie de l’équipe et vivre ce que je n’aurais jamais cru possible : combiner ma passion pour le basketball avec ma carrière.
J’ai commencé à travailler avec le programme masculin en 2011, après la médaille de bronze remportée par l’équipe dirigée par Kevin Pangos, Olivier Hanlan et un Andrew Wiggins de 15 ans lors du tout premier Championnat du monde FIBA U17. J’ai un attachement particulier pour ce groupe d’âge, surtout depuis la création de l’Académie junior quelques années plus tard, grâce à l’initiative de l’excellent entraîneur Chris Cheng — un confrère asiatique brillant. Le programme a vraiment pris de l’ampleur à ce moment-là, et j’ai beaucoup de souvenirs précieux de cette époque, surtout aux côtés de l’ex-thérapeute en chef du NextGen, Mary Lalancette. Ensemble, on a misé sur des approches proactives en coulisse pour aider à faire grimper le classement mondial FIBA des garçons jusqu’à la 2e place, après la médaille d’or historique de 2017.
L’été 2017 a aussi été un moment fort personnellement, puisque ma femme, Harmony, et moi sommes devenus parents pour la première fois avec la naissance de notre fils Ethan — un vrai miracle, lui qui pesait à peine 4 livres. Alors oui, cette médaille d’or était le deuxième événement le plus excitant de mon été (rires).
Être là pour ces jeunes, les accompagner à travers les blessures, les maladies, et les voir évoluer jusqu’aux U23 et maintenant avec le programme masculin 3x3 — ça résume bien mon rôle. J’ai été là assez longtemps pour voir certains d’entre eux devenir pères à leur tour, amorcer leur transition vers la vie après leur carrière pro. Rencontrer Rowan Barrett, sa femme Kesha, et leurs fils il y a plusieurs années, c’est aussi ça : une histoire de famille. Et quand on a perdu Nathan l’an dernier, ça nous a tous frappés comme une perte personnelle. C’est ça, Canada Basketball.
Q : Qu’est-ce que ça représente pour vous de suivre les traces de votre père?
Mark : Depuis que je suis tout petit, j’ai toujours voulu devenir médecin.
Je crois que ma famille et mes amis en ont souvent entendu parler durant mon enfance. Comme beaucoup d’enfants, on admire naturellement son père, mais le fait d’avoir réellement pu travailler avec mon père et ma mère dans la même clinique — et d’avoir ensuite repris cette clinique du centre-ville de Toronto pour la faire évoluer — m’a rempli d’une immense fierté.
Pouvoir perpétuer cet héritage, bâti à travers l’adversité, et le transformer en service envers les plus démunis, les blessés, les malades, ça me touche profondément. Mes parents, tous deux premiers chrétiens de leur génération, m’ont transmis ces valeurs dès mon jeune âge. Et aujourd’hui, ma famille et moi poursuivons ensemble ce cheminement de foi.
Q : Vous parlez souvent de Canada Basketball comme d’une grande famille. Avez-vous des souvenirs marquants de cette « famille élargie » lors des camps d’entraînement?
Mark : Chaque camp d’entraînement pour une compétition internationale, c’est un peu comme des retrouvailles familiales. Il y a tous ces visages familiers que j’ai appris à connaître au fil des ans — comme l’adjoint au DG Michael Meeks, le directeur des opérations Seb Arnold, les gérants d’équipe James DePoe et Scott « Boogie » Waithe, les entraîneurs comme Nathaniel Mitchell et Dave DeAveiro, pour n’en nommer que quelques-uns. Ce sont des gens avec qui j’ai partagé tant de moments inoubliables en voyageant avec le programme masculin.
Un souvenir très fort pour moi remonte à 2012, quand on a fait une visite improvisée au Mémorial canadien de la Première Guerre mondiale à Vimy. L’équipe vivait une période difficile à ce moment-là — l’unité n’était pas au rendez-vous, on manquait de temps d’entraînement, et l’ambiance était tendue. C’est James DePoe qui a osé insister pour qu’on fasse cette visite. Et je pense que ça nous a vraiment aidés à renforcer notre identité canadienne. Ce jour-là, on a compris qu’il y avait un “plus grand jeu” que le basketball.
Je vois aussi beaucoup de nos joueurs de l’équipe masculine de basketball dans ce qui était la clinique de mon père au centre-ville de Toronto, ce qui donne vraiment l’impression d’un retour aux sources. Ça me rappelle que je perpétue l’héritage de mon père, tout en y insufflant ma propre passion — en voyant ma carrière rejoindre mon amour pour le basketball.
Q : Que ressentez-vous quand vous repensez à l’adolescent de 13 ans que vous étiez?
Mark : C’est sûr que c’est un sentiment assez incroyable.
À cet âge-là, je n’aurais jamais imaginé faire carrière dans un domaine lié au basketball. En tant qu’enfant asiatique, tu ne vois pas vraiment de modèles dans le monde du sport ou du basketball, surtout quand tu es issu de l’immigration. Les valeurs qu’on nous inculquait étaient davantage tournées vers la sécurité, la stabilité. Le sport, ce n’était pas censé être une voie professionnelle — c’était plutôt une activité qu’on faisait une fois que le « vrai » travail était terminé. Juste un passe-temps.
Mais aujourd’hui, pouvoir travailler avec les meilleurs athlètes de basketball du pays, et voir les jeunes talents évoluer sous mes yeux, ce n’est pas quelque chose que j’aurais cru possible à cet âge.
Quand j’étais au secondaire à Toronto dans les années 90, les Raptors venaient à peine d’être créés, et il n’y avait aucun ambassadeur chinois ou asiatique dans le basketball comme Jeremy Lin ou Yao Ming à l’époque. Donc je ne voyais pas du tout comment le basketball pouvait entrer dans ma vie professionnelle. C’était juste un plaisir. Et ça l’est toujours — je reste passionné par ce sport, j’essaie encore de jouer, mais j’ai vieilli et j’ai maintenant deux enfants (rires).
Q : Que vous inspire le Mois du patrimoine asiatique?
Mark : Quand je pense à mon héritage asiatique, je pense tout de suite à ma famille.
À mon père et ma mère, tous deux Chinois, qui ont immigré de Hong Kong contre vents et marées, et ont dû faire face à de nombreux défis culturels pour pouvoir s’établir ici, à Toronto — mon père comme médecin et ma mère comme infirmière.
Ils n’ont pas grandi comme moi — ils ont grandi dans la pauvreté et ont dû surmonter énormément d’obstacles. Ça m’a profondément marqué, et ça m’a appris l’importance du travail acharné, de la persévérance, et de la résilience face aux difficultés.
Ça m’a aussi aidé à comprendre que le monde n’est pas si grand que ça — mes parents venaient de l’autre bout de la planète, et aujourd’hui je vis ici grâce à eux.
Et quand je regarde Canada Basketball aujourd’hui, avec toute sa diversité et son ouverture sur le monde, je me dis que c’est assez extraordinaire de pouvoir en faire partie et d’y apporter ma propre histoire.