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Canada basketball

Le programme de mentorat de entraîneures noires offre une opportunité unique à Jean-Paul, Eniojukan et Alexander

Équipe Nationale Féminine

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30/11/2020

Lorsque 2020 a commencé, Kayla Alexander pensait au basket. À jouer au basket, pour être plus précis. Après un confinement pendant une pandémie mondiale, une saison WNBA jouée dans une bulle en Floride et puis une longue pause chez elle avec sa famille à Milton, Ontario, Alexander pense toujours au basket, mais cette fois elle pense à un jour devenir entraîneure.

Juste après un été passé au sein de la bulle WNBA, Alexander a commencé à voir des publications sur Twitter et Instagram à propos du programme de mentorat d’entraîneures noires, ou PMEN. Créé par la Black Canadian Coaches Association en partenariat avec l’Association canadienne des entraîneurs (ACE), ce programme pilote vise à offrir des chances égales aux entraîneures noires du Canada.

Même si Alexander ait allé à l’école et passe la plupart de son temps libre en dehors du terrain à écrire des livres pour enfants et à faire du mentorat, elle dit qu’elle n’a jamais considéré sérieusement à devenir entraîneure après sa carrière de joueuse, mais elle a réalisé quelque chose pendant les premiers jours de confinement lorsque son mentorat et sa participation à des conférences se sont transformés en appels zoom. Elle a pris conscience du fait qu’entraîner était une autre forme d’enseignement et que c’est enseigner qui la passionnait le plus.

“Je ne compte plus les fois où ma famille m’a dit, ‘Kayla vas-tu devenir entraîneure ? Veux-tu être entraîneure de basket ?’ et j’ai toujours répondu, ‘Non, je ne vais pas être entraîneure. Je ne veux pas devenir entraîneure.’ Quand je pensais à la possibilité de devenir entraîneure, je pensais à chaque fois au niveau universitaire, et les entraîneurs de niveau universitaire n’ont pas de vie en dehors du basket. Et puis je me suis dit, ‘Kayla, les enfants sont ta passion et tu mentores déjà des enfants, tu aimes être avec les jeunes, peut-être que tu devrais considérer une carrière d’entraîneure. Tu n’es pas obligée d’entraîner au niveau universitaire, tu pourrais entraîner au niveau élémentaire, ou secondaire.’ Après avoir vu ça, la pire chose qui puisse arriver c’est d’appliquer et de ne pas être prise. À ce moment-là tu repars de zéro.”

Lorsqu’elle a eu la nouvelle qu’elle était sélectionnée parmi les 17 mentorées du programme, Alexander était choquée et ravie. Avec Canada Basketball depuis 6 ans, la joueuse de 29 ans travaille également avec le Programme de Mentorat National de Basketball pour les Jeunes, et mentore quatre filles de 9 à 15 ans. Par téléphone ou en utilisant zoom, ils parlent aussi bien de basket que de la vie, et Alexander donne des conseils et partage ses propres expériences. Alexander est un choix naturel, pour un programme centré sur l’apprentissage. Même si son humilité a fait qu’elle était surprise quand elle a appris la bonne nouvelle.

“Kayla Alexander est l’exemple parfait de quelqu’un qui a contribué au sport en temps qu’athlète, quelqu’un qui a toutes les compétences qu’il faut dans ce sport,” a souligné Cheryl Jean-Paul, entraîneure principale des équipes de basketball féminin de Trinity Western. “C’est une personne exceptionnelle, avant tout, elle donne beaucoup aux autres et elle a ce désir de transmettre et de partager, ce qu’il faut bien avoir si on veut devenir entraîneure au Canada. Elle joue déjà le rôle de mentor, elle dispose de cette plateforme, elle a aussi un bel état d’esprit qui pousse les gens à écouter attentivement ce qu’elle dit.”

Jean-Paul est une des entraîneures qui sera également mentor dans ce programme. Elle dit que ce programme est né de la volonté de donner aux futures ou aux jeunes entraîneures de couleur les systèmes de soutien nécessaires pour les encourager au moment où elles débutent leur carrière d’entraîneure et en apprennent les hauts et les bas.

Au printemps dernier, alors que la majeure partie du monde était confiné et que le monde du sport faisait une pause pour se concentrer sur les problèmes importants que sont la justice sociale et le racisme systémique, Jean-Paul s’est retrouvée dans un appel zoom avec quatre autres entraîneures noires de basketball au Canada. C’est pendant cette discussion qu’elles ont réalisé qu’il fallait un programme comme le PMEN. Jean-Paul est ravie d’être impliquée dans le programme, et crédite les idées et l’impact de Lee Anna Osei, entraîneure principale des équipes de basketball féminin à  St. Francis Xavier University, lors de ces appels, aidant ainsi au programme à voir le jour.

“Lee Anna Osei est le catalyste pour beaucoup d’initiatives qui ont débuté ces derniers mois,” a dit Jean-Paul. “[Pendant ces conversations] nous avons réalisé que nous partagions des moments spéciaux toutes les cinq pendant ces appels zoom. Nous ne nous étions jamais consultés de cette manière et je pense que ça a déclenché quelque chose dans chacune d’entre nous et nous avons connu beaucoup de choses dans notre carrière d’entraîneure et dans le monde du basket en général que nous avons dû surmonter d’un point de vue professionnel et que nous avons un peu enterrées et nous avons continué parce que nous avons toutes des programmes à diriger ce qui demande beaucoup de temps et d’énergie.”

Pour Jean-Paul, il était important de donner une opportunité à de jeunes entraîneures de bénéficier d’un mentorat et d’être guidée, tout en étant disponible pour celles ouvertes à l’idée d’entraîner. Étant donné qu’il n’y a que peu d’entraîneures au Canada, il est crucial de montrer aux jeunes femmes des exemples de femmes qui entraînent et qui leur ressemblent. Comme toute chose, la représentation est importante.

“[En sport, parfois] c’est qui on connaît, ce n’est pas toujours ce qu’on sait, qui importe le plus,” a dit Jean-Paul. “Nous voulons vraiment offrir du mentorat pour guider les jeunes entraîneures qui n’auraient sûrement pas eu ces opportunités. Quand on regarde les programmes d’apprentissage de l’ACSC et des sports pour les jeunes, beaucoup de ces athlètes faisaient partie de ces programmes ou faisaient partie d’un programme universitaire ou d’un programme collégial qui n’avait pas d’entraîneure à la tête de leur équipe.

“Nous voulons soutenir ces jeunes entraîneures avant que le parcours ne devienne trop dur pour qu’elles puissent gérer la situation toutes seules," a-t-elle poursuivi. "Je pense que nous voulons un programme de mentorat qui soit une partie de la solution (dont nous avons vraiment besoin).”

Alexander a été associée avec sa mentore Christa Eniojukan, l’entraîneure principal d’Ontario Tech, pour le programme. Au cours des conversations que les deux ont eu jusqu’ici, elles ont parlé d’objectifs, ainsi que de ce qu’Alexander aimerait apprendre du programme. Toujours très active dans sa carrière de joueuse, Alexander dit qu’elle aimerait en apprendre plus sur la meilleure façon de faire la transition vers le coaching si elle sent que c’est bien ce qu’elle souhaite faire. Au minimum, elle veut améliorer ses compétences en communication, quelque chose qui va l’aider, qu’elle se dirige vers le coaching ou bien vers l’enseignement.

“Elle est absolument géniale,” a dit Eniojukan à propos d’Alexander. “Elle est vraiment impliquée et fait beaucoup attention aux détails. Il y a une énergie spéciale qui se dégage d’elle. Elle est capable d’utiliser sa connaissance du jeu et puis son charisme et son énergie vont l’aider à inspirer les jeunes femmes.”

Avoir un mentor qui est également une femme noire au Canada – et quelqu’un qui a travaillé avec Canada Basketball en tant que membre de la réserve d’entraîneurs de la Haute Performance Féminine et qui a aussi était impliqué en tant qu’entraîneure invitée dans divers camps de groupes d’âge – est quelque chose de nouveau pour Alexander.

“Pour moi, la représentation est quelque chose de très important,” a-t-elle dit. “Quand j’ai commencé à évoluer au sein du sport, avec Équipe Ontario, au Canada, et en tant que joueuse de basket, je me souviens n’avoir eu qu’une entraîneure noire. C’était Iors de ma première année avec Équipe Ontario. Je ne pense pas avoir eu une autre entraîneure noire jusqu’à l’université.”

L'expérience d’Alexander est précisément la raison pour laquelle Jean-Paul dit que ce programme est nécessaire. C’est pourquoi ce programme, qui en est à sa première année, va vraisemblablement accroître le nombre de participantes l’année prochaine.

Jean-Paul s’est impliquée dans le programme en tant que mentor car elle s’est dit qu’elle pouvait partager ses connaissances et son expérience, ainsi ce qu’elle a appris tout au long de sa propre carrière d’entraîneure. Ce qu’elle ne savait pas lorsqu’elle s’était engagée c’était à quel point elle allait elle-même tirer profit du programme.

“Je pense que pour moi, en tant que mentor, je vais aussi progresser,” a dit Jean-Paul. “Quand on aide quelqu’un d’autre avec sa situation, il arrive que parfois, leurs problèmes révèlent quelque chose que l’on n’a pas résolu soi-même ou vont te montrer que c’est la prochaine étape à prendre pour toi. Je mets au défi cette jeune entraîneure pour qu’elle poursuive sa formation ou pour qu’elle passe le niveau au-dessus. Je dois donc m’assurer de faire la même chose également.”

Eniojukan a aussi constaté cela. Après ses conversations avec Alexander, elle a elle-même pensé personnellement à sa propre carrière d’entraîneure et ses buts ainsi que les conseils qu’elle a donnés. Tout comme l’expérience d’Alexander, Eniojukan a dit qu’elle n’a jamais été entraînée par une femme pendant sa carrière de joueuse. C’est maintenant, grâce au programme de mentorat auquel elle participé en tant que mentor, qu’Eniojukan a trouvé son propre système de soutien.

“On se voit une fois par mois [sur zoom], entre mentors, et j’ai aussi développé des relations étroites, notamment avec quelques-unes des entraîneures de basket qui sont dans le programme et on se parle de manière informelle une fois toutes les 2-3 semaines,” a dit Eniojukan. “J’en apprends aussi beaucoup sur elles.”

Tout comme l’expérience d’Alexander, Eniojukan a dit qu’elle n’a jamais été entraînée par une femme pendant sa carrière de joueuse. Peu de temps après le premier appel zoom entre Eniojukan et Alexander, elles ont eu une session zoom avec l’équipe de basketball de la jeune fille d’Eniojukan. Elle savait avant l’appel qu’Alexander allait être super, mais la façon dont elle s’est préparée pour cet appel, répondant aux questions avec enthousiasme et présentant ses propres clips vidéos pour en parler en détails avec les filles, a montré à quel point un programme comme cela sera bénéfique pour les entraîneures jeunes et en devenir.

“[Pour les filles de cette équipe], elle se disaient, ‘Une joueuse de 6 pieds 4, qui est tellement incroyable et qui joue en WNBA, et en plus elle va aller aux Jeux Olympiques.’ J’ai même dû les arrêter, elles n’arrêtaient pas de poser des questions. Je leur ai dit, ‘Hé, hé, on doit terminer. J’ai un appel avec mon équipe. Je suis vraiment désolée,’ mais elles avaient tellement de questions pour elle. Elle les a vraiment inspirées.”

Alexander vient tout juste de commencer à explorer le monde des entraîneurs, et se pose la question de savoir si c’est quelque chose qui puisse lui convenir, mais elle est déjà reconnaissante qu’un tel programme existe et qu’elle puisse en faire partie dès sa première saison.

“Dans certains endroits, il n’est pas impossible de rêver d’être ici, mais quand on le voit avec ses propres yeux, cela rend ton rêve plus valide et plus réel,” souligne Alexander à propos de l’importance de la représentation. “C’est quelque chose que je peux atteindre au lieu d’un rêve lointain que j’espère réaliser mais qui n’est pas réaliste. Je vais toujours être cette personne qui va parler de représentation et qui va souligner l’importance d’avoir des personnes diverses de tout point de vue à différents endroits. Je pense qu’il est très important que les jeunes voient ça.”

Même si ce programme ne dure qu’un an, et qu’il reste encore beaucoup de choses à faire dans ce domaine, Jean-Paul est contente de faire des progrès en ce moment. Une fois qu’on a parlé de toutes les choses qu’il y a à faire cette année, la clé c’est de vraiment faire la différence.

“En tant qu’entraîneurs, on regarde toujours vers l’avant,” a dit Jean-Paul. “On pense au prochain weekend, au prochain semestre, aux séries, à la prochaine saison avec les recrues, donc pour nous entraîneurs, ça a été un moment d’introspection que nous n’avons pas en temps normal.

“C’est avec grande humilité que je vois combien les jeunes femmes noires impliquées dans le coaching sont fières de ce qu’elles font pour le basketball, parce qu’elles savent que le plafond de verre va se briser, a-t-elle poursuivi. “Nous voulons que les jeunes femmes noires considèrent la perspective de devenir entraîneure une fois leur carrière de joueuse terminée. Je ne suis pas sûre que ce soit l’histoire de leur expérience. Si je suis une jeune joueuse noire jouant au basket et que je n’ai jamais vu quelqu’un qui me ressemble au poste d’entraîneure, pourquoi est-ce que je considèrerais ça comme une possibilité de carrière pour moi ? Nous voulons vraiment changer ça.”

Tout comme Eniojukan, Jean-Paul est aussi impliquée avec Canada Basketball, puisqu’elle entraîne l’équipe Féminine de Basketball FIBA U16 du Canada. Depuis qu’elle a ce rôle au sein du programme, elle a eu pu observer au premier plan la façon dont Canada Basketball, en particulier à travers le programme féminin, change les idéaux des jeunes filles qui grandissent au Canada avec le rêve de devenir joueuse de basket.

“Comme on le voit dans le cas de Kayla, Canada Basketball a fait du très bon travail en invitant des joueuses de l’équipe senior féminine à nos camps cadettes pour parler en direct avec les jeunes joueuses et les aider à comprendre qu’elles étaient aussi à leur place au début,” a dit Jean-Paul. “Il y a Kayla, mais Tamara [Tatham] est aussi un autre exemple. Les athlètes ont cette plateforme qu’une entraîneure n’aura jamais et avoir quelqu’un qui dispose déjà de cette plateforme avant de débuter une carrière d’entraîneure est une très bonne chose pour le développement du basketball de manière générale. Le basketball est en constante évolution et le monde du sport également et c’est génial de faire partie de ce changement.”

Pour Jean-Paul, travailler avec Canada Basketball a été une étape importante dans sa propre carrière d’entraîneure. En plus de ce qu’elle a pu apprendre de cette expérience, elle dit aussi que c’est ce qui lui a permis de commencer à entraîner d’autres jeunes entraîneures pour suivre le même parcours.

“Il y a des conversations importantes en ce moment au sein de Canada Basketball qui sont vraiment encourageantes parce qu’il y a une volonté de changer les choses et de continuer à travailler sur ces sujets-là,” a dit Jean-Paul. “J’ai hâte de voir ce que va être le futur de Canada Basketball.”

Jean-Paul a aussi hâte de voir ce que l’avenir d’Alexander lui réserve.

“Je pense que Kayla, avec ses [livres], ses illustrations, son mentorat et son temps passé avec la NBA en Afrique, est quelqu’un qui peut changer le monde,” a dit Jean-Paul. “Vraiment. C’est le genre de personne qu’on veut mentorer. J’ai hâte de voir comment elle va évoluer.”